L’appellation « triple » apparaît au 8-9ème siècle sous l’impulsion de Charlemagne (742-814) qui octroie l’exclusivité de la production brassicole aux abbayes et monastères. Depuis plusieurs milliers d’années avant Jésus-Christ et jusque-là la production de bière n’était pas réglementée et souvent réalisée par des femmes.
Rappelons que Charlemagne prône l’orthodoxie religieuse chrétienne et fait la guerre aux Saxons païens, aux Lombards en Italie et aux musulmans d’al-Andalus. Faire produire la bière par des abbés et des moines revêt plusieurs intérêts :
- Obliger son peuple à se rapprocher et dépendre de la religion chrétienne
- Produire massivement de quoi abreuver la population de son empire et les troupes qui transitent d’une bataille à l’autre (l’eau n’est pas courante au Moyen-Âge)
- Limiter les épidémies liées à l’ingestion d’eau de mauvaise qualité et surtout non traitée (l’eau de brassage est bouillie tuant ainsi les bactéries)
Il convient alors de distinguer la population entre 3 catégories :
- Le roi, son entourage et les abbés/moines
- Les notables locaux et gens de passage
- Le petit peuple

Dans le but de produire en quantité les abbés et les moines décidèrent d’ajouter un peu plus de matière première (malt de céréales). Ainsi ils pouvaient brasser 3 ou 4 fois en réutilisant les mêmes grains. Le 1er brassin a la teneur en sucre la plus importante d’où son degré d’alcool élevé. Il sera destiné au roi, son entourage et aux abbés/moines qui le produisent. Le 2ème brassin destiné aux notables et gens de passage et le 3ème brassin qui ne contient quasiment plus de sucres fermentescibles tellement il a été rincé préalablement (et donc un degré d’alcool très faible) destiné au peuple vivant localement sur place et qui ne boit pas d’eau par peur de choper des maladies. Même les enfants boivent de la bière à cette époque.
Les productions étant stockées dans des tonneaux identiques il était impossible de distinguer lesquels contenaient le 1er, le 2ème et le 3ème brassin. Un abbé a alors eu la bonne idée d’apposer des croix sur les tonneaux pour les distinguer : 3 croix pour le 1er brassin, 2 pour le 2ème et 1 pour le 3ème. Le type de bière « triple » est né. Il comporte donc obligatoirement un degré d’alcool supérieur à la moyenne.
Attention aux idées reçues et appellations trompeuses
Il arrive de trouver des emballages avec des informations douteuses ou des indications « triple » qui n’ont aucun rapport avec la méthode de conception initiale des bières triples.
- Une triple n’est pas de composée de 3 fois plus de malt qu’une bière standard, tout au mieux 1,5 fois plus. Si on multipliait par 3 fois le malt alors le mélange avec une quantité d’eau conventionnelle ne serait pas suffisant pour extraire un moût sucré. Le malt absorberait toute l’eau.

- Certaines mentions « triple » indiquent en fait que 3 types de céréales ont été mélangées à l’empâtage. Chose assez fréquente dans le brassage artisanal pour apporter plus de complexité à la saveur de la bière, de typicité, de se démarquer des bières des grands groupes industriels qui ne s’embarrassent pas de ça ou simplement ajouter de la mousse.

- D’autres utilisent « triple » pour indiquer une triple fermentation : primaire, secondaire et en bouteille. Or techniquement on ne peut pas vraiment parler de 3 fermentations différentes mais d’une seule avec éventuellement des phases additionnelles (houblonnage à cru, garde entre 0°C et 5°C ou de refermentation en bouteille via l’ajout de sucre avant l’embouteillage pour réactiver la fermentation).
Voilà tu es paré pour briller en société par contre fais-le avant de commencer le deuxième verre de triple. Ces bières ont une teneur en alcool assez élevée (+/-9°C) tu risquerais de t’emmêler les pinceaux dans les différentes explications du style « A l’époque Charlemagne mettait 3 fois plus de céréales dans ses bières pour leur donner du goût ». A bon entendeur :).
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2 commentaires sur « Briller en société : C’est quoi une « bière triple » ? »